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mon sommeil, une main délicate ; je la reconnais au seul toucher, et, tout en dormant, je la saisis, et la presse bien fort sur mes lèvres.

Tout le monde s’est dispersé. Une seule bougie brute dans le, salon. Maman a dit qu’elle se chargeait de me réveiller. Elle se, blottit dans le fauteuil où je dors ; passe sa belle main fine dans mes cheveux, se penche à mon oreille, et murmure de sa jolie voix que je connais si bien :

« Lève-toi, ma petite âme, il est temps d’aller se coucher. »

Aucun regard indifférent ne la gêne elle ne craint pas d’épancher sur moi toute sa tendresse et tout son amour. Je ne bouge pas ; mais je baise la main encore plus fort.

« Lève-toi, mon ange. »

Elle met son autre main dans mon cou et me chatouille avec ses doigts effilés. Le salon silencieux est dans une demi-obscurité maman est assise tout contre moi, elle me touche ; et j’entends sa voix je me lève d’un bond, je jette mes bras autour de son cou, je me serre contre sa poitrine en murmurant :

« Oh maman, chère petite maman, comme je t’aime ! »

Tolstoï, Souvenirs. Enfance, Adolescence, Jeunesse.
Traduction Arvède Barine (Hachette, édit.).

Souvenirs d’enfance

Lamartine eut une enfance heureuse à Milly, petit village près de Mâcon. Il se rappelle avec émotion les soirées de la maison familiale.

Il est nuit. Les portes de la petite maison de Milly sont fermées. Un chien ami jette de temps en temps un aboiement dans la cour. La pluie d’automne tinte contre les vitres de deux fenêtres basses, et le vent, soufflant par rafales, produit, en se brisant contre les branches de deux ou trois platanes et en pénétrant dans les interstices des volets, ces sifflements intermittents et mélancoliques que l’on entend seulement au bord des grands bois de sapins quand on s’asseoit à leurs pieds pour les écouter. La chambre où je me revois aussi est grande, mais presque nue. Au fond est une alcôve profonde avec un lit. Les rideaux du lit sont de serge blanche à carreaux bleus. C’est le lit de ma mère ; il y a deux berceaux sur des chaises de bois au pied du lit ; l’un est grand, l’autre petit. Ce sont les berceaux de mes plus jeunes sœurs qui dorment déjà depuis longtemps, Un grand feu de ceps de vigne brûle au fond d’une cheminée de pierres blanches. De grosses poutres noircies par la fumée, ainsi que les planches qu’elles portent, forment le pla-