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vitres, s'y tassait en bourrelets blancs; tantôt le vent d'ouest et la pluie faisaient rage contre les portes et les fenêtres. Le bou- vreuil et moi nous n'en avions cure. Un bon feu flambait dans la cheminée j'avais une ample provision de livres, et lui, du chènevis, de la salade et du biscuit en abondance; nous passions de bonnes journées dans un étroit cabinet de travail aux solives enfumées, aux murs blanchis à la chaux. Sauf aux heures du coucher ou du repas, mon compagnon ne restait guère derrière les barreaux. La porte de sa cage était toujours ouverte, et il en profitait pour vagabonder en chanton- nant à travers la chambre. Tantôt il se perchait sur la flèche de mon lit, tantôt il se posait devant la fenêtre, très curieux de ce du' se passait au dehors. Dans la rue boueuse et neigeuse, un pipsan allait et venait en faisant claquer ses sabots une charrette filait en éclaboussant les carreaux, et l'on distinguait entre les ridelles deux où trois paysannes accroupies sous des parapluies de cotonnade bleue ou bien des enfants sortaient de l'école menant grand tapage et pataugeant dans les flaques d'eau. Le bouvreuil regardait tout cela avec de jolis dodeline- ments de tête, et parfois marquait son intérêt par de légers tui 1 tui tui! qu'il tirait du fond de son gosier. Parfois aussi, tandis que j'étais plongé dans ma lecture, il voletait autour de moi, et finissait par se poser sur ma tête nue, où il prenait plai- sir à ébouriffer mes cheveux, Le soir je sortais pour dîner et ne rentrais d'ordinaire qu'assez tard. En m'entendant rouvrir la porte, le bouvreuil se réveillait et ne manquait pas de saluer ma rentrée par un gazouillement fort doux. Cela avait presque l'air d'un reproche amical. On eût dit qu'il me tançait affectueusement d'être resté si tard dehors et de l'avoir délaissé si longtemps. Puis, m'ayant dégoisé tout ce qu'il avait sur le cœur, il remettait sa tête sous son aile, je me déshabillais, et nous nous endormions tous deux d'un pro- fond sommeil; mais le lendemain, dès le petit matin, j'étais éveillé à mon tour par une aubade de mon gai compagnon, qui semblait m'inviter à me lever pour allumer le feu et regarnir sa mangeoire. Nous passâmes ainsi fort agréablement tout l'hiver, puis mars et ses giboulées fondirent la neige, les premières violettes fleurirent dans le jardin avec les crocus'(1) et les hépatiques (2), et l'on commençaà rouvrir les fenêtres pour humer les premiè- res bouffées d'air printanier. C'était la saison où, dans nos bois montueux, les bouvreuils sauvages commencent à voleter deux à deux. Ils s'accouplent en avril et nichent sur les buissons. Le nid est de mousse au dehors, de plume au dedans, et la femelle une fois fécondée y 1. Crocus safran printariier. 2. Hépatiques sorte d'anomonos.