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sa jolie tête bleuâtre, il y brisait les pennes de sa queue le du- vet de son poitrail hérissé s'éparpillait en l'air. Parfois, n'en pouvant plus, il se rencognaitdans un angle, ouvrait de grands yeux noirs, et son regard désespéré semblait me crier « Mais lâche-moi donc 1. lâche-moi donc 1» Je fis la sourde oreille et je m'en allai, me berçant encore de l'espoir que la nuit le calmerait. Dès le fin matin, je courus de nouveau à la cage. Sur la planchette qui servait de parquet, immobile, les paupières closes, le plumage ébouriffé et terne, le pinson, déjà raidi, gisait au milieu des graines éparses et intactes. Le sauvage oiseau des montagnes, en haine de sa pri- son, s'était laissé mourir de faim. Mon cœur se serra j'avais cette cruelle agonie suggla cons- cience. Pendant longtemps, je ne pus voir un ol sans éprouver une lourde sensation de malaise. Et aujourd'hui en- core après bien des années, en entendant sous bois les précoces roulades du printemps, ce souvenir d'enfance m'est remonté au cerveau, avec la senteur amère d'un remords. André THEURIET, Nos Oiseaux (Tallandier, édit.). Le Bouvreuil PENDANT UN SÉJOUR d'hiver À LA CAMPAGNE, j'ai eu pour compa- gnon de solitude un bouvreuil. Il avait été pris dans le nid, à la fin du printemps précédent, et il avait eu le temps de s'accli- mater à la servitude. La vie casanière n'avait nui ni à son déve- loppement, ni à sa bonne humeur. Il était de la grosseur d'un moineau. Son bec épais, noir et dur, se recourbait légèrement, ses yeux à l'iris noisette avaient une expression aimable. et les couleurs de son plumage étaient fort vives. Le dessus de la tête, le tour (tu bec et la naissance du cou étaient d'un beau noir lustré, sur lequel tranchait le rouge de la gorge, de la poitrine et du haut du ventre la nuque et le dos avaient des teintes cen- drées, qui faisaient ressortir le violet clair des ailes tachetées de rouge et le violet foncé des plumes de la queue. Il était gai et avait de remarquablesdispositionspour le chant. Dans l'état de liberté, le bouvreuil est un médiocre chanteur il n'a guère que trois notes un sifflement très pur, puis un ramage presque enroué et dégénéranten fausset mais le brave paysan qui s'était chargé de l'éducation du mien lui avait appris à force de patience à filer des sons plus moelleux et plus variés. Mon oiseau donnait a ses petites phrases musicales un accent pénétrant, une expression attendrie qui charmaient ma solitude et me la rendaient chère. L'hiver était rude. Tantôt la neige, tourbillonnant contre les