battu, que je l'avais accoutumé à ne plus entrer dans les mai- sons pour y voler -des os, et il se contentait de mon pain. Si j'étais triste, il se mettait devant moi, me regardait dans les yeux et semblait me dire « Tu es donc triste, ma pauvre Fosseuse? » Si les voyageurs me jetaient des sous, il les ramassait dans la poussière et me les apportait, ce bon caniche. Quand j'ai eu cet ami-là, j'ai été moins malheureuse. Je mettais de côté tous les jours quelques sous pour tâcher de faire cinquante francs, afin de l'acheter au père Manseau. Un jour, sa femm£, voyant que le chien m'aimait, s'avisa d'en raffoler. Notez.que le chien ne pouvait pas la souffrir. Ces bêtes-là, ça flaire les âmes! elles voient tout de suite quand on les aime. J'avais une pièce d'or de vingt francs cousue dans le haut de mon jupon; alors je dis à M. Manseau: « Mon cher Monsieur, je comptais vous offrir mes économies de l'année pour votre chien; mais avant que votre femme le veuille pour elle, quoiqu'elle ne s'en soucie guère, vendez-le moi vingt francs; tenez, les voici. Non, ma mignonne, me dit-il, serrez vos vingt francs. Le ciel me préserve de prendre l'argent des pau- vres 1 Gardez le chien. Si ma femme crie trop, allez-vous -en. » Sa femme lui fit une scène pour le chien. Ah mon Dieu, l'on aurait dit que le feu était à la maison Et vous ne devinerez pas ce qu'elle imagina?Voyant que le chien était à moi d'amitié, qu'elle ne pourrait jamais l'avoir, elle l'a fait empoisonner. Mon pauvre caniche est mort entre mes bras. Je l'ai pleuré comme si c'eût été mon enfant, et je l'ai enterré sous un sapin. BALZAC, Le Médecin de campagne.
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