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les outils simples entre eux. L’action humaine se rapproche ainsi de plus en plus de la complexité indéfinie du monde, sans jamais l’atteindre. L’homme compose des machines avec la roue et le levier, comme il construit un point quelconque d’une conique avec la règle et le compas. C’est ainsi qu’au travail s’ajoute l’industrie.

C’est ainsi que je peux distinguer plusieurs manières de connaître le monde. Par le travail je le saisis. Cette plume que je meus sur le papier sert d’intermédiaire entre moi et le monde. Les sensations qu’il me procure, n’ayant aucun intérêt pour moi par elles-mêmes, ne se rapportent en mon esprit qu’à mon action et au papier qui la reçoit. C’est de la même manière que je cache le Panthéon par mon volet, d’un mouvement de ma tête, puis, d’un mouvement inverse, le découvre, et saisis ainsi que le volet est entre mes yeux et le Panthéon. C’est ainsi encore que je rapporte les sensations que me procurent les deux yeux à un seul Panthéon, dont je détermine le relief, la distance ou la grandeur en variant, par mon propre mouvement, ce double contact. Car une telle exploration, encore qu’elle s’exerce à distance, qu’elle ne mette en mouvement que mon propre corps, qu’elle n’ait pas pour fin de rien changer, est, sinon travail, du moins préparation au travail ; elle fait des sensations les signes des distances, des grandeurs, des formes, autrement dit, de mes travaux possibles. Inversement le travail effectif a rapport à la connaissance, non autant qu’il change quelque chose dans le monde, mais autant qu’il l’explore. Je sens ou plutôt je perçois la pierre au bout du levier, comme je perçois le Panthéon au bout, si je puis dire, de mon regard, au point de rencontre de mes deux regards. Ainsi autant le monde est soumis à mon