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si je n’unis pas les deux parties de moi, celle qui subit, celle qui agit, je peux faire du moins que je subisse les changements produits par moi, que ce que je subis, ce soit ma propre action. C’était impossible tant que je ne savais que désirer, puisque au désir d’un bonheur quelconque ne correspondait qu’un mouvement dans le monde, entièrement étranger au bonheur. Mais si je ne fais porter ma volonté que sur l’idée d’une direction, à ce vouloir répond aussitôt une impulsion qui lui est conforme ; ma volonté s’imprime toute vive dans le monde. Mais cela ne suffit pas, il faut trouver des intermédiaires qui rejoignent le mouvement droit, que seul je peux produire, à ce changement complexe que je veux faire parvenir à mes sens. Je dois ruser, je dois m’empêcher moi-même par des obstacles qui me mènent où je veux. Le premier de ces obstacles, c’est l’imagination même, cette attache, ce nœud entre le monde et moi, ce point de rencontre entre le mouvement simple dont je dispose et le mouvement infiniment composé qui représente pour mon entendement le monde. Ce point de rencontre des deux mouvements, c’est une chose qui reçoit le mouvement, c’est une chose étendue, c’est un corps. Je le nomme mon corps, et par excellence, le corps. En lui, et dans le monde autant que je le saisis par le travail, se rejoignent les deux imaginations.

Elles se trouvent toutes rejointes en ma pensée, et même, je le reconnais à présent, elles le sont depuis les plus anciennes pensées que je puisse me souvenir d’avoir formées. Car j’ai eu tort, quand j’ai passé en revue mes pensées, de ne distinguer, dans les unes, que l’imagination conduite par l’entendement, que définissait la géométrie ; dans les autres, que la sensibilité passive et l’imagination trompeuse. En cette dernière classe je rangeais, avec les passions