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nirai chacune d’elles, comme la mienne propre, par une droite. C’est dire qu’autant que dans le monde elle se trouvera détournée, je la supposerai déformée, tordue par ses innombrables sœurs. Je définirai aussi ce mouvement comme uniforme ; bref je supposerai l’impulsion première se reproduisant sans cesse, toujours semblable à elle-même. La part du monde est ainsi réduite à ce qui déforme, arrête, accélère, ralentit un mouvement uniforme et droit. Je puis ensuite, cette part même, la réduire à nouveau en y considérant à nouveau un mouvement uniforme et droit. Je puis ainsi décomposer sans fin le monde. Ce n’est pas que j’espère arriver à un résultat ; la condition où je me trouve consiste en particulier en ceci, que je ne puis jamais épuiser le monde. Jamais je ne rejoindrai le monde au mouvement droit. Mais ce que j’ai acquis du moins, c’est de savoir qu’il n’y a pas de limite à mon analyse, qu’elle est toujours valable, que toujours je puis trouver que le monde consiste en un mouvement, puis un mouvement, puis un mouvement. Je fais ainsi société avec le monde, non, il est vrai, comme un homme avec un homme, mais comme un homme avec une multitude indéfinie. Comme un mouvement du monde répond à une espèce de pensée en moi, que je nomme vouloir, de même ces autres pensées, que je nomme impressions des sens, je suppose qu’elles sont ce qui, en moi, correspond à ce peuple de mouvements. Mais cette foule ne m’effraie plus à présent que je la compose en ajoutant une unité à une unité. Je vois bien que la direction que ma pensée y imprime doit aussitôt, par tous les mouvements qui s’y combinent, être rendue méconnaissable ; mais je vois aussi qu’elle se combine à son tour aux mouvements que je subis, et je conçois qu’il peut m’être ainsi possible