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réaction qui me retient au monde que je dois trouver ma part et connaître ce qui me résiste. À cet égard l’élan qui, au moindre grincement, me jette à recréer le monde me trompe à chaque fois ; car les impressions qui lui succèdent et par lesquelles il se trouve exaucé ou déçu, ou plutôt exaucé et déçu à la fois, sont fortuites. Aussi ne dois-je pas étudier l’imagination comme action, c’est-à-dire en rapport avec les effets, mais uniquement comme pensée. Le monde n’est pas hors de ma pensée, il est avant tout ce qui n’est pas moi en moi. Je ne dois pas chercher à sortir de moi pour définir l’obstacle.

Ainsi je vais interroger l’imagination. Non pas la faire parler, car elle parle assez d’elle-même ; je n’entends qu’elle en moi, je n’ai pu la faire taire qu’un instant pour écouter le pur esprit. Mais il faut que j’apprenne à l’écouter, que je distingue quand elle parle vrai. Je le puis, car il ne s’agit que de distinguer, dans les pensées où l’imagination a part, celles où elle est déréglée, ou plutôt où elle me mène, et celles où l’esprit tient les guides. Car l’imagination par sa nature est double. Elle représente pour moi, ou la présence de ce monde étranger que je ne puis comprendre, ou ma prise sur ce monde. Or sur le monde l’imagination ne peut me renseigner ; si je me fie à elle, le monde ne sera jamais qu’une cause de tristesse ou de joie, soit, puisque je me représente toujours la cause de même nature que l’effet, une volonté étrangère à la mienne, redoutable, bien ou mal disposée ; il ne sera jamais l’obstacle. Car il n’y a d’obstacle que pour qui agit, et il n’y a point d’action pour l’esprit que l’imagination domine ; l’imagination représente bien, ou plutôt constitue, la prise que j’ai sur le monde, la correspondance qui se trouve être, par l’union de