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il n’y a que moi qui puisse m’instruire. Dieu même ne m’apprend rien, il ne me donne qu’une garantie. Je n’ai donc point d’aide, et n’ai comme matériaux que des rêveries confuses, des idées trop claires, des sensations aussi obscures qu’impérieuses, toutes choses dont aucune, je ne l’ai que trop éprouvé, ne constitue une connaissance. Je ne commettrai plus la faute de vouloir les considérer en elles-mêmes, elles que je n’ai jamais cru saisir sans m’apercevoir aussitôt que je ne saisissais rien. Je ne veux plus que chercher ce que je puis sur moi. Peut-être cette recherche est-elle sans fin ; d’autant qu’elle ne consiste pas à m’apercevoir peu à peu d’une puissance que j’exercerais à mon insu, idée plausible naguère à mes yeux, mais qui m’apparaît à présent comme aussi absurde que l’incertitude au sujet de ma propre existence. Apprendre à connaître ma puissance, ce n’est autre chose, je le sais maintenant, qu’apprendre à l’exercer. Ainsi se rendre savant et se rendre maître de soi, ces deux entreprises qui me semblaient entièrement distinctes, et dont la première me paraissait d’ailleurs de beaucoup la moins importante, je reconnais qu’elles sont identiques. Il se peut donc que ce double apprentissage ne soit jamais terminé, qu’il me reste toujours quelque puissance à acquérir ; peut-être aussi rencontrerai-je tout de suite la limite de mon pouvoir. Mais ce que je sais dès maintenant, c’est que connaître ne dépend que de moi ; je ne connaîtrai rien par hasard. Mais comment donc dois-je faire pour apprendre plus que je ne sais présentement ? Car, jusqu’à présent, je n’espérais guère m’instruire autrement que par l’étude de ce que les autres avaient trouvé avant moi ; je me considérais comme un livre vide, où seuls quelques axiomes étaient écrits, mais où chaque