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Descartes à Mersenne : « En Dieu ce n’est qu’un de vouloir et de connaître » (I, p. 149) ; et quelques jours auparavant : « C’est en effet parler de Dieu comme d’un Jupiter ou Saturne et l’assujettir au Styx et aux destinées que de dire que ces Vérités sont indépendantes de lui. Ne craignez point, je vous prie, d’assurer et de publier partout que c’est Dieu qui a établi ces lois en la nature, ainsi qu’un roi établit des lois en son royaume. » Loin que le fait soit idéalisé jusqu’à n’être constitué que d’idées, ce sont les idées qui semblent ici comme ramenées jusqu’au fait, et d’autant plus nettement que Descartes continue : « Elles sont toutes mentibus nostris ingenitae[1], ainsi qu’un roi imprimerait ses lois dans le cœur de tous ses sujets, s’il en avait aussi bien le pouvoir. » (I, p. 145.) Ainsi, que deux quantités égales à une troisième soient égales entre elles, ce ne serait pas une loi de l’esprit, mais une loi du monde. Ici encore il apparaît que la géométrie est une physique ; et il apparaît comme une idée liée à celle-là, encore qu’on comprenne difficilement comment, qu’il n’y a point d’entendement infini, puisque Dieu n’est que volonté, et que l’entendement est donc limité par sa nature même.

Enfin, non seulement Descartes regarde tout esprit, dès qu’il s’applique à penser comme il faut, comme égal au plus grand génie, mais encore dans la pensée la plus commune il retrouve l’esprit humain. Il y a, à ses yeux, une sagesse commune bien plus proche de cette philosophie véritable qui est à l’esprit ce que les yeux sont au corps que ne sont les pensées produites par l’étude… cum saepissime videamus illos, qui litteris operam nunquam navarunt, longe solidius et clarius de obviis rebus judicare, quam

  1. « … innées en nos esprits. »