Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contenter d’être singe, ou perroquet, et non plus homme, pour mériter d’être mis au rang de ces excellents esprits. Car, si les choses qu’on peut concevoir doivent être estimées fausses pour cela seul qu’on les peut concevoir, que reste-t-il, sinon qu’on doit seulement recevoir pour vraies celles qu’on ne conçoit pas, et en composer sa doctrine, en imitant les autres sans savoir pourquoi on les imite, comme font les singes, et en ne proférant que des paroles dont on n’entend point le sens, comme font les perroquets ? » (IX, p. 212).

Cette opposition se retrouve partout. Si cette géométrie, si aérienne qu’elle semble dédaigner les figures, se révèle assez substantielle pour constituer une physique, c’est qu’elle ne se détache jamais de l’imagination. « L’étude des mathématiques, écrit Descartes à la princesse Elisabeth, exerce principalement l’imagination » (III, p. 692), et à un endroit des Regulae : « Nous ne ferons plus rien désormais sans le secours de l’imagination. » (X, p. 443.) C’est dans l’imagination, y dit-il encore (p. 416), qu’il faut former l’idée de tout ce qui peut se rapporter au corps. Se servant de l’imagination, l’esprit géomètre ne manie pas des idées vides. Il saisit quelque chose. Aussi Descartes repousse-t-il, au nom de l’imagination, les propositions telles que : l’extension ou la figure n’est pas un corps ; le nombre n’est pas la chose nombrée ; la surface est la limite du volume, la ligne la limite de la sur face, le point la limite de la ligne ; l’unité n’est pas une quantité, etc., toutes propositions qui, dit-il, doivent être absolument écartées de l’imagination quand elles seraient vraies. (X, p. 445.) Il veut que, s’il est question de nombre, nous imaginions un objet mesurable au moyen de plusieurs unités, que le point des géomètres, quand ils en composent