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elle-même une physique ; et c’est presque en propres termes ce qu’il ose écrire à Mersenne : « Je n’ai résolu de quitter que la géométrie abstraite, c’est-à-dire la recherche des questions qui ne servent qu’à exercer l’esprit ; et ce, afin d’avoir d’autant plus de loisir de cultiver une autre sorte de géométrie, qui se propose pour questions l’explication des phénomènes de la nature. » L’explication de la réflexion et de la réfraction, entre autres, remplit ce programme avec une audace encore aujourd’hui inouïe, et qui a scandalisé Fermat. La démonstration de la loi par laquelle tout mouvement conserve sa direction, dans le Monde, n’est pas moins étonnante : « Dieu conserve chaque chose par une action continue, et, par conséquent, il ne la conserve point telle qu’elle peut avoir été quelque temps auparavant, mais précisément telle qu’elle est au même instant qu’il la conserve. Or est-il que, de tous les mouvements, il n’y a que le droit qui soit entièrement simple, et dont toute la nature soit comprise en un instant. Car, pour le concevoir, il suffit de penser qu’un corps est en action pour se mouvoir vers un certain côté, ce qui se trouve en chacun des instants qui peuvent être déterminés pendant le temps qu’il se meut. Au lieu que, pour concevoir le mouvement circulaire, ou quelque autre que ce puisse être, il faut au moins considérer deux de ses instants, ou plutôt deux de ses parties, et le rapport qui est entre elles. » (XI, p. 44.)

Il n’y a pas d’exemple, pour employer les termes de l’école, d’un idéalisme aussi audacieux. Cent autres textes de Descartes feraient voir que nul n’a poussé si loin le réalisme. C’est le monde tel qu’il est en soi qu’il veut connaître, et il l’écrit à Morus : « Res te monet, si dicatur substantia sensibilis, tunc definiri ab habitudine ad sensus nostros :