Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croire que cette défiance à l’égard des sens n’est que provisoire, conformément à la comparaison par laquelle Descartes explique ce qu’est pour lui le doute dans sa réponse aux septièmes objections : « Si forte haberet corbem pomis plenam, et vereretur ne aliquaex pomis istis essent putrida, velletque ipsa auferre, ne reliqua corrumperent, quo pacto id faceret ? An non in primis omnia omnimo ex corbe rejiceret ? Ac deinde singula ordine perlustrans, ea sola qua agnosceret non esse corrupta, resumeret, atque in corbem reponeret, aliis relictis[1] ? » (VIII, p. 481.) De fait la croyance aux témoignages des sens n’est pas au nombre des pensées que Descartes, après les avoir rejetées, reprend comme saines. L’objet de la physique cartésienne est au contraire de remplacer les choses que nous sentons par des choses que nous ne faisons que comprendre, au point de supposer, comme source des rayons solaires, un simple tourbillon. Le soleil même est privé de sa lumière par l’esprit. Et voici en effet le début du Monde autrement intitulé Traité de la Lumière : « Me proposant de traiter ici de la Lumière, la première chose dont je veux vous avertir est qu’il peut y avoir de la différence entre le sentiment que nous en avons, c’est-à-dire l’idée qui s’en forme en notre imagination par l’entremise de nos yeux, et ce qui est dans les objets qui produit en nous ce sentiment, c’est-à-dire ce qui est dans la flamme ou dans le soleil, qui s’appelle du nom de

  1. « Si par hasard (quelqu’un) avait une corbeille pleine de fruits et qu’il lui semblât que quelques-uns de ces fruits fussent gâtés, et qu’il veuille les retirer, pour qu’ils ne pourrissent pas le reste, comment s’y prendrait-il ? Est-ce que d’abord il ne retirerait pas absolument tous les fruits de la corbeille ? Et ensuite, les examinant soigneusement un par un, ne reprendrait-il pas ceux-là seuls qu’il saurait ne pas être abîmés, et ne les replacerait-il pas dans la corbeille, en abandonnant les autres ? »