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III ter. AUTRE VARIANTE DU MÊME TEXTE


Mon idée, sur la découverte des incommensurables, est que les Grecs ont commencé par découvrir, non pas que la diagonale du carré est incommensurable, mais qu’il n’y a pas de moyenne proportionnelle entre deux nombres dont l’un est le double de l’autre. Comme indication historique, je ne connais que deux textes. L’un, de Platon, dans le Ménon, où Socrate, pour prouver que toute âme — y compris celle d’un esclave — vient du « ciel intelligible », interroge un esclave sur la duplication du carré, et lui fait trouver (par des questions bien choisies) qu’on obtient le double d’un carré en prenant la diagonale comme côté. Il n’y a rien d’autre ; mais le choix de ce problème (duplication du carré) suggère qu’il est lié à une connaissance qui témoigne éminemment de l’origine divine de l’intelligence humaine ; et que serait cette connaissance, sinon celle des incommensurables ? L’autre texte est d’Aristote ; il dit qu’on démontre l’incommensurabilité de la diagonale par l’absurde : car si la diagonale était commensurable, le pair serait égal à l’impair. Le nombre à la fois pair et impair est évidemment celui qui mesure la diagonale. Comme les pythagoriciens (auteurs de la découverte) nommaient l’arithmétique l’étude du pair et de l’impair, il n’y a rien d’invraisemblable, tout au contraire, à ce que cette démonstration soit la leur. Cherchant une moyenne proportionnelle entre un nombre et son double, ils ont pu, avant de la trouver, se demander si elle était paire ou impaire ; voir qu’elle est nécessairement l’un et l’autre à la