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un drame que pour les « non-initiés ». Les pythagoriciens n’ont pas dû douter de la raison pour avoir trouvé des rapports non exprimables en nombres entiers.

En tout cas il est remarquable que l’étude des rapports de grandeur dans les lignes et non dans les nombres ait précédé la découverte des incommensurables, laquelle, autrement, n’aurait jamais eu lieu. (À ce propos, il est singulier peut-être que les problèmes qui ont poussé en avant la géométrie grecque soient ceux que notre algèbre élémentaire ne considère pas comme des problèmes. Quand en résolvant une équation un élève de lycée obtient , , il ne se croit pas en présence d’un problème, mais d’une solution ; au lieu que la préoccupation essentielle des Grecs fut de donner un sens à ces expressions.) Dans les tablettes babyloniennes étudiées par N[eugebauer], les équations du 2e, 3e, 4e degrés sont construites à partir de leur solution (c’est évident du fait qu’on en a des séries qui ont toutes la même solution). Cela montre que les Babyloniens ne s’intéressaient qu’à la méthode, et non à résoudre des problèmes réellement posés. Il est évident, de même, que la somme des ouvriers et des jours de travail n’est jamais donnée. Ils s’amusaient à chercher le connu, supposé inconnu, à partir de l’inconnu, supposé connu. C’est un jeu qui fait le plus grand honneur à leur conception de la recherche « désintéressée ». (Avaient-ils des médailles et des bourses ?) Mais ce n’est qu’un jeu.

Si jusqu’à Diophante il n’y a pas trace d’algèbre chez les Grecs (sinon traduite en géométrie), c’est certainement que l’algèbre pure était à leurs yeux interdite. Sans quoi pourquoi n’auraient-ils pas écrit en grec des traités d’algèbre à côté des traités