Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette découverte n’a d’ailleurs certainement pas « ruiné le pythagorisme », comme tu dis. Car autrement les pythagoriciens n’auraient sûrement pas eu pour symbole le pentagone étoilé (division d’une ligne en extrême et moyenne raison). Si l’on suppose qu’après avoir eux-mêmes découvert les incommensurables ils ont gardé cette découverte secrète parce qu’elle ruinait leur doctrine, il est puéril d’imaginer qu’en pareil cas l’image de cette découverte leur aurait servi de signe de reconnaissance. Ils étaient parfaitement capables de concevoir le nombre réel, tout en gardant au terme de nombre la signification de nombre entier pour les initiés du 1er degré. Je ne doute pas un instant qu’ils ne l’aient fait ; d’ailleurs Eudoxe, à qui sont attribués la définition du nombre réel et les théorèmes qui s’y rapportent dans le livre V d’Euclide, était un élève d’Archytas. Aristote dit de Platon que sa doctrine est purement et simplement celle des pythagoriciens, à laquelle il n’aurait changé qu’un mot, en disant « idées » au lieu de « nombres ». Ce qui a causé la ruine des pythagoriciens, ce ne sont pas les incommensurables, c’est simplement le massacre des pythagoriciens vers le milieu du ve siècle.

Il est vrai, assurément, que la découverte des incommensurables a créé un drame, et le discrédit où est tombée de ce fait la notion de vérité est sans doute pour beaucoup dans les diverses doctrines pragmatistes qui ont surgi à cette époque ; ces doctrines, jointes à la diffusion des connaissances par les sophistes, sous une forme vulgaire, parmi les « non-initiés », ont considérablement contribué à susciter la démagogie, et par suite l’impérialisme, lequel a ruiné la civilisation hellénique. Mais il se peut fort bien que le drame n’ait été vraiment