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On peut se demander pourquoi les Grecs se sont ainsi attachés à l’étude de la proportion. Il s’agit certainement d’une préoccupation religieuse, et par suite (puisqu’il s’agit de la Grèce), pour une part, esthétique. Le lien entre les préoccupations mathématiques d’une part, philosophico-religieuses de l’autre, lien dont l’existence est historiquement connue pour l’époque de Pythagore, remonte certainement beaucoup plus haut. Car Platon est traditionaliste à l’extrême, et dit souvent : « Les hommes anciens, qui étaient beaucoup plus près que nous de la lumière… » (faisant évidemment allusion à une antiquité bien plus reculée que celle de Pythagore) ; d’autre part il affichait à la porte de l’Académie : « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre » et disait : « Dieu est un perpétuel géomètre ». Il y aurait contradiction entre les deux attitudes — ce qui est exclu — si les préoccupations d’où est issue la géométrie grecque (à défaut de cette géométrie même) ne dataient d’une haute antiquité ; on peut supposer qu’elles viennent, soit des habitants pré-helléniques de la Grèce, soit d’Égypte, soit des deux. Au reste l’orphisme (qui a cette double origine) a inspiré le pythagorisme et le platonisme (qui sont pratiquement équivalents) au point qu’on peut se demander si Pythagore et Platon ont fait beaucoup plus que le commenter. Thalès a presque sûrement été initié à des mystères grecs et égyptiens, et par suite baignait, au point de vue philosophique et religieux, dans une atmosphère analogue à celle du pythagorisme.

Je pense donc que la notion de proportion était depuis une antiquité assez reculée l’objet d’une méditation qui constituait un des procédés de purification de l’âme, peut-être le procédé principal. Il est hors de doute que cette notion était au centre de l’esthé-