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de terre déplacée, et la somme des jours de travail et des ouvriers. On doit trouver le nombre des jours de travail et celui des ouvriers. Je me demande ce que diraient les parents d’élèves si on posait aujourd’hui à un examen un problème formulé d’une manière analogue ? Ce serait amusant d’en faire l’expérience. Drôles de gens, ces Babyloniens. Moi, je n’aime pas beaucoup cet esprit d’abstraction — les Sumériens devaient être beaucoup plus sympathiques. D’abord, c’est eux qui ont inventé tous les mythes mésopotamiens, et des mythes, c’est autrement intéressant que l’algèbre. Mais toi, tu dois descendre des Babyloniens en ligne directe. Pour moi, je pense bien que Dieu, selon la parole pythagoricienne, est un géomètre perpétuel — mais non pas un algébriste. Quoi qu’il en soit, je me suis félicitée, en lisant la dernière lettre que j’ai reçue de toi, de voir que tu te défendais d’appartenir à l’école abstraite.

Je me souviens qu’à Chançay ou à Dieulefit tu disais que ces études sur l’Égypte et Babylone jettent un doute sur le rôle de créateurs attribué jusqu’ici aux Grecs en matière mathématique. Mais je crois qu’on y trouve plutôt, jusqu’ici (sous réserve de découvertes ultérieures) une confirmation de ce rôle. Les Babyloniens semblent s’être attachés à des exercices abstraits concernant les nombres, les Égyptiens avoir procédé d’une manière purement empirique. L’application d’une méthode rationnelle à des problèmes concrets et à l’étude de la nature semble avoir été le propre des Grecs. (Il est vrai qu’il faudrait connaître l’astronomie babylonienne pour pouvoir juger.) Le singulier est que les Grecs devaient connaître l’algèbre babylonienne, et pourtant on n’en trouve pas trace chez eux avant Diophante (qui est, si