Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de quelque intelligence. Il n’était pas autre chose pour Lucrèce.

La mécanique quantique a de même dissipé, concernant la notion si importante de « négligeable », une confusion que le moindre effort critique pouvait abolir aussi bien. On néglige en fait ce qui est très petit par rapport à l’objet qu’on poursuit. Les physiciens ont voulu rendre négligeable en droit ce qu’ils négligeaient en fait, par une assimilation avec l’infiniment petit de la mathématique. Plus une plaque de métal est lisse, plus lentement diminue la vitesse de la bille qui y roule horizontalement. Je ne peux pas rendre la plaque de métal aussi lisse que je veux ; mais après m’être procuré ce qu’il y a de plus lisse sur le marché, je peux imaginer que dans vingt ans on en fabriquera de plus lisses. D’autre part, plus je pousse loin la série 1,999 etc., moins la quantité obtenue diffère de 2, et pour cette raison je dis que 1,999…9 est égal à 2. Par analogie, je dis aussi que la bille roule sur une plaque lisse avec une vitesse uniforme. Mais il y a en réalité une grande différence entre les deux passages à la limite ; la quantité que les mathématiciens nomment infiniment petite peut être diminuée par le calcul, à n’importe quel moment, exactement autant qu’on veut ; la quantité que les physiciens nomment négligeable ne peut pas être présentement diminuée plus que ne le permet l’état présent de la technique, et pour la diminuer davantage il faudra un progrès technique actuellement incertain. Il n’y a donc pas d’infiniment petit en physique. Cela est évident, mais on l’avait oublié, et la mécanique quantique a forcé de le reconnaître.

On s’est aperçu récemment que les procédés d’observation et de mesure ont une action sur les phénomènes observés ; ainsi nous ne pouvons pas