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monde purement théorique des atomes, que par rapport à ce monde seul l’entropie n’a aucun sens ; et c’est pourquoi, pour lui donner un sens par rapport à ce monde et au nôtre considérés ensemble, il a fallu faire intervenir cette probabilité qui a détruit la physique classique. La cause n’en est pas dans un changement de dimensions, mais dans la tentative pour définir l’entropie, notion essentiellement étrangère au mouvement, par le mouvement seul.

Au reste un changement d’échelle doit nécessairement produire un bouleversement dans la physique en raison du rôle joué par la notion de négligeable. Quand on énonce des considérations générales sur la physique, on passe rapidement sur cette notion, comme par une sorte de refoulement ou de pudeur. Les physiciens non seulement négligent ce qui est négligeable, comme ils doivent faire par définition, mais ils sont enclins aussi à négliger, tout en en faisant usage, la notion même de négligeable, qui est très exactement l’essentiel de la physique. Le négligeable, ce n’est pas autre chose que ce qu’il faut négliger pour construire la physique ; ce n’est nullement ce qui est de peu d’importance, car ce qui est négligé est toujours une erreur infinie. Ce qui est négligé est toujours aussi grand que le monde, exactement aussi grand, car un physicien néglige toute la différence entre une chose qui se produit sous ses yeux et un système parfaitement clos, parfaitement défini qu’il conçoit dans son esprit et représente sur le papier par des images et des signes ; et cette différence, c’est le monde même, le monde qui se presse autour de chaque morceau de matière, s’infiltre à l’intérieur, met une variété infinie entre deux points si rapprochés soient-ils ; le monde qui empêche absolument qu’il y ait aucun