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des instruments meilleurs permettent de pénétrer plus avant, grâce aux atomes, dans la structure des phénomènes, de simples à peu près. Leur joie n’était pas seulement impie, étant dirigée contre la raison, elle témoignait aussi d’une incompréhension singulièrement opaque. L’étude des atomes correspond dans la science, non seulement à un changement d’échelle, mais aussi à tout autre chose. Si l’on imagine un petit homme, semblable à nous, de la dimension d’une particule atomique, vivant parmi les atomes, ce petit homme, par hypothèse, sentirait de la chaleur, de la lumière, des sons, en même temps qu’il verrait et accomplirait des mouvements ; mais, dans le monde d’atomes conçu par les physiciens, il n’y a que des mouvements. En passant de notre monde à celui des atomes, on transforme, entre autres, la chaleur en mouvement ; et pour notre sensibilité il y a une différence non de grandeur, mais de nature entre mouvement et chaleur. Il y a aussi une différence de nature entre chaleur et mouvement par rapport aux conditions de notre travail. Non seulement nous ne pouvons jamais espérer, quand nous faisons effort, obtenir par aucun procédé un résultat plus grand que ne comporte notre effort — le principe de la conservation de l’énergie nous interdit cet espoir — mais encore nous ne pouvons pas espérer recueillir tout le résultat que notre effort comporte. Nous perdons de la peine quand nous faisons effort dans le monde, et cette peine perdue, origine de la notion d’entropie, se mesure par un échauffement ; il y a pour nous différence de nature entre cette peine perdue et la peine utile, par exemple, pour un ouvrier, entre l’échauffement de son outil et la fabrication des pièces usinées. C’est parce qu’il n’y a que du mouvement, non de la chaleur, dans le