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aurait fallu concevoir un ensemble continu de combinaisons d’atomes correspondant à un système défini à notre échelle, et trouver le moyen de faire correspondre à un tel ensemble, comparé à d’autres ensembles de même espèce, une grandeur analogue à une distance. À première vue, cela ne semble pas impossible. A-t-on essayé d’élaborer une telle théorie, et a-t-on échoué ? En ce cas, quelle est la cause de l’échec ? Ou n’a-t-on même pas songé à essayer, malgré l’extrême simplicité d’une telle idée ? Il est certain, en tout cas, que c’est là le point crucial dans tout examen critique de la théorie des quanta ; il est certain aussi que Planck a pu faire tout un livre, récemment traduit, sur les rapports de la science contemporaine et de la philosophie, sans y faire même une lointaine allusion.

Quoique le bien fût absent de la science classique, aussi longtemps que l’intelligence à l’œuvre dans la science future forme seulement mieux aiguisée de celle qui élabore les notions de sens commun, il y eut du moins quelque liaison entre la pensée scientifique et le reste de la pensée humaine, y compris la pensée du bien. Mais même cette liaison si indirecte fut rompue après 1900. Des gens qui se disaient philosophes, fatigués de la raison, sans doute parce qu’elle est trop exigeante, triomphèrent à l’idée d’un désaccord entre la raison et la science ; bien entendu, c’est à la raison qu’ils donnaient tort. Ce qui leur procurait une joie particulière, c’était de penser qu’un simple changement d’échelle apporte dans les lois de la nature une transformation radicale, tandis que la raison exige qu’un changement d’échelle change les grandeurs, non les rapports entre grandeurs ; ou encore ils étaient heureux de penser que les nécessités regardées longtemps comme évidentes deviennent, quand