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dispositif mécanique dont elle traduisît les rapports entre distances et forces ; il n’en est pas ainsi pour une formule faite d’une constante et d’un nombre, une telle formule ne peut rien exprimer qui se rapporte à la distance. Qu’on suspende des poids égaux à des hauteurs différentes et qu’on élève un plateau qui les soulève à mesure qu’il les atteint, les variations de l’énergie, fonction de la distance et de la force, ressembleront à celles d’une surface limitée par deux droites perpendiculaires, dont l’une mobile, et une ligne brisée en escalier, autrement dit elles seront continues. On peut chercher à imaginer autant de dispositifs mécaniques que l’on voudra comportant de la discontinuité ; en aucun cas une fonction de deux variables dont l’une varie d’une manière continue ne peut croître par addition successive d’une quantité constante. Or l’énergie est une fonction de l’espace, et l’espace est continu ; il est la continuité même ; il est le monde pensé du point de vue de la continuité ; il est les choses en tant que leur juxtaposition enveloppe le continu. On peut penser les choses comme discontinues, c’est-à-dire les atomes — on ne le peut d’ailleurs pas sans arriver à des contradictions — mais même au prix de contradictions implicites on ne peut pas penser ainsi l’espace. Si certains Grecs, dit-on, ont parlé du nombre des points contenus dans un segment de droite, c’est seulement parce qu’ils concevaient le nombre comme le modèle de la quantité, et parce que le langage supporte tout. Mais on pourrait aussi bien penser la continuité elle-même discontinue que l’espace. Nous n’avons rien de plus certain pour guider nos affirmations que de telles impossibilités ; l’espace est continu. L’énergie est une fonction de l’espace ; toute variation d’énergie est analogue à ce qui se