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le nombre en tant qu’il est susceptible de former des rapports ; car un rapport entre deux chiffres, chose infiniment différente d’une fraction, est en même temps rapport entre une infinité d’autres chiffres choisis convenablement et groupés deux par deux ; chaque rapport enveloppe des quantités qui croissent d’une manière illimitée sans cesser d’être fidèles à une relation parfaitement définie, comme un angle, à partir d’un point, embrasse un espace qui s’étend indéfiniment au-delà des plus lointaines étoiles. Et le rapport, pour être pensé, doit sortir du nombre pour passer dans l’angle, car le nombre entier supporte mal la substitution du rapport à l’addition ; il ne donne aucun moyen d’exprimer, sinon en certains cas, la moyenne proportionnelle. Cela, non seulement les Grecs de la période archaïque, mais aussi les Babyloniens de l’an 2 000 devaient le savoir, eux qui cherchaient des solutions aux équations du deuxième degré, c’est-à-dire des moyennes proportionnelles ; l’incommensurabilité de la diagonale du carré, tardivement révélée en Grèce au grand public, n’a dû jeter le trouble et le scandale que parmi les ignorants. Les Grecs du vie siècle fondèrent la science du nombre généralisé, et dès lors l’étude du monde consista à у chercher des nombres en ce sens nouveau, c’est-à-dire des proportions. Or on y trouve des proportions.

C’est ainsi qu’au lieu du rapport entre le désir et les conditions de l’accomplissement, la science grecque a pour objet le rapport entre l’ordre et les conditions de l’ordre. Il s’agit d’un ordre sensible à l’homme, et par suite l’homme n’est pas absent de ce rapport ; pourtant cet ordre se rapporte à l’univers mieux que ne font le désir, le projet, l’effort ; la science grecque est au moins aussi dépouillée de