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mêmes sans laquelle on ne peut se délivrer du désir, de l’espoir, de la crainte, du devenir, sans laquelle il n’y a ni vertu ni sagesse, sans laquelle on vit dans le rêve. Le contact avec la nécessité est ce qui substitue au rêve la réalité. L’éclipse est un cauchemar quand on ne comprend pas que la disparition du soleil dans l’éclipse est analogue à la disparition du soleil pour l’homme qui se couvre les yeux de son manteau ; quand on le comprend, l’éclipse est un fait. Ce qu’il y a de purificateur dans le spectacle et dans l’épreuve de la nécessité, quelques vers splendides de Lucrèce suffisent à le faire sentir ; le malheur bien supporté est une purification de ce genre ; et de même la science classique est une purification, si l’on en fait bon usage, elle qui cherche à lire à travers toutes les apparences cette nécessité inexorable qui fait du monde un monde où nous ne comptons pas, un monde où l’on travaille, un monde indifférent au désir, aux aspirations, et au bien ; elle qui étudie ce soleil qui brille indifféremment sur les méchants et sur les bons.

Mais on ne peut regretter qu’elle ait trouvé un terme, car elle était par nature limitée. L’intérêt d’abord en est limité et même faible ; elle est terriblement monotone, et le principe une fois saisi, c’est-à-dire l’analogie entre les événements du monde et la forme la plus simple du travail humain, elle ne peut rien apporter de nouveau, si longtemps qu’elle accumule les découvertes. Ces découvertes ne donnent aucune valeur nouvelle au principe, elles tirent de lui toute leur valeur. Ou s’il prend par elles une plus grande valeur, c’est seulement autant qu’il est réellement saisi par l’esprit d’un homme au moment de la découverte, car l’acte par lequel un esprit se met soudain à lire la nécessité à travers des apparences est toujours admirable ; ainsi Fresnel