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Etc. Thème de l’irréalité. Carthage, Carthagène, Persépolis.

Il sera bon aussi qu’après avoir mis fin à la licence des troupes, rétabli l’ordre et la sécurité, vous commandiez durement. Il faut que toute leur vie soit changée, leur vie de chaque jour. Qu’ils sentent chaque jour qu’ils ne sont pas chez eux, mais chez autrui, à la merci d’autrui ; ainsi seulement ils obéiront sans effusion de sang. Autrement se résigneraient-ils à avoir tout perdu en une nuit ? Il sera bon qu’il y ait beaucoup d’églises et de fresques détruites ; on bâtira à la place des églises de style espagnol. Voyant sans cesse ce qu’ils haïssent, même quand ils cherchent Dieu, ils se connaîtront faits pour obéir. Il faudra interdire complètement leurs chants, leurs spectacles, leurs fêtes. On enverra leurs peintres et leurs musiciens à la cour de Madrid ; ils y seront estimés. Il faut que les gens d’ici se sentent étrangers chez eux. Déraciner les peuples conquis a toujours été, sera toujours la politique des conquérants. Il faut tuer la cité au point que les citoyens sentent qu’une insurrection, même si elle réussissait, ne pourrait la ressusciter ; alors ils se soumettent. Vos volontés, vos fantaisies, vos rêves, à vous leur maître, doivent être désormais pour eux la seule réalité. Vous serez un de ces hommes dont les peuples sont contraints de vivre le rêve. Quand vous penserez la mort d’un de ceux-là, il mourra. Chaque objet chaque jour rappellera à chacun — il le faut — qu’il vit seulement aussi longtemps que vous le préférez vivant. Et leur vie aussi se modèlera sur