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Pour qui, hélas, viens-tu d’éclore ?
Ces jeunes êtres effondrés,
Voulais-tu les baigner d’aurore
Parmi les champs non labourés ?
Du gris sur leurs faces boueuses,
Loin des mains pour eux seuls soigneuses,
Ils sont à terre pour toujours,
La bouche ouverte sans prière,
L’œil insensible à la lumière,
Dépouillés de leur part de jours.

D’autres, nus, sont couverts des gouttes
De l’aube au travers des chemins.
Vers tous les habitants des routes
Ils tendirent leurs vaines mains.
On charge comme de la terre
Les os qu’a rongés la misère,
Que nulle terre n’a nourris.
Et d’autres, que d’autres qui gisent…
Les jours passés leur interdisent
De te voir, jour qui leur souris.

Jour sans force, la pierre même
Tu ne pourras la traverser.
Un mur te retire à qui t’aime ;
Et des murs en plomb vont peser
Jusqu’à la nuit sur les poitrines.
Du tumulte lourd des usines,
Des marchés de chair à souiller,
Du fond des prisons immuables,
Montent les regards misérables.
Quel rayon daigne les baigner ?