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Jour naissant, jour fait de rosée,
Si clair dans l’âme et dans les cieux,
Toute cette splendeur posée
Comme une caresse en tous lieux
Nous reviendra tendre et limpide.
Le soir à travers l’air fluide
En comblera le pré mouillé.
Mais avant que le soir descende
Et parmi nous calme s’étende,
Ô jour, que tu seras souillé !

*

Chaque minute, ô jour qui monte !
Quand elle a fui d’un vol muet
Après elle laisse la honte
Que recueille l’instant qui naît.
Partout quelque bouche soudaine
S’ouvre et vient ternir d’une haleine
Les jours et les douces saisons
D’êtres hier encor sans larmes
Qui maintenant n’ont plus qu’alarmes
Vains travaux, détresse et prisons.

Quel effort tord les destinées
Dont l’or, le fer, le sort, les lois
Écrasent les vastes années
Dans l’espace d’un peu de voix !
Quand les lèvres inattentives
Laissent sur les foules captives
Tomber ces mots, si lourds de temps,
Les heures croulent en poussières ;
La clarté touche les paupières,
Elle a déserté les instants.