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PROMÉTHÉE

Un animal hagard de solitude,
Sans cesse au ventre un rongeur qui le mord,
Le fait courir, tremblant de lassitude,
Pour fuir la faim qu’il ne fuit qu’à la mort ;
Cherchant sa vie au travers des bois sombres ;
Aveugle quand la nuit répand ses ombres ;
Au creux des rocs frappé de froids mortels ;
Ne s’accouplant qu’au hasard des étreintes ;
En proie aux dieux, criant sous leurs atteintes —
Sans Prométhée, hommes, vous seriez tels.

Feu créateur, destructeur, flamme artiste !
Feu, héritier des lueurs du couchant !
L’aurore monte au cœur du soir trop triste ;
 Le doux foyer a joint les mains ; le champ
A pris le lieu des broussailles brûlées.
Le métal dur jaillit dans les coulées,
Le fer ardent plie et cède au marteau.
Une clarté sous un toit comble l’âme.
Le pain mûrit comme un fruit dans la flamme.
Qu’il vous aima, pour faire un don si beau !