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Tu marches parmi les clartés,
Le regard libre et les mains vides,
Au-devant des aubes splendides
Qui se lèvent sur les cités.

Ivre de l’ivresse du sage,
Tu bois l’air pur, candide et clair ;
Tu crois ouïr un divin message
Dans ce silence plein d’éclairs ;
Libre de parfums et de rêves,
Tu dédaignes les fleurs trop brèves,
Tu vas dans la paix de l’éveil,
Foulant la neige inviolée
Et ne voyant dans la vallée
Que les libres jeux du soleil.

Tu vas, forte, innocente et pure,
Tenant un glaive dans ta main ;
Tu crois que l’éclat d’une armure
Siérait, sous ce soleil divin ;
Libre et soudain comme un miracle,
Ton pur regard est un oracle
Pour tes aînés trop soucieux,
Qui se demandent, sans réponse,
Quels destins les astres annoncent
À ces jeunes silencieux.

Car les destins présents sont mornes et tragiques :
Le pain au citoyen parfois vient à manquer ;
Le peuple, fatigué des luttes politiques,
Déjà s’irrite et tremble et commence à gronder.
Au loin notre pays voit, en de mornes guerres,