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À UNE JEUNE FILLE RICHE

Clymène, avec le temps je veux voir dans tes charmes
Sourdre de jour en jour, poindre le don des larmes.
Ta beauté n’est encor qu’une armure d’orgueil ;
Les jours après les jours en feront de la cendre ;
On ne te verra pas, éclatante, descendre,
Fière et masque baissé dans la nuit du cercueil.

À quel destin promise, en ta fleur passagère,
Glisses-tu ? Quel destin ? Quelle froide misère
Viendra serrer ton cœur à le faire crier ?
Rien ne se lèvera pour sauver tant de grâce ;
Les cieux restent muets pendant qu’un jour efface
Des traits purs, un teint doux qu’un jour a vus briller.

Un jour peut te blêmir la face, un jour peut tordre
Tes flancs sous une faim poignante ; un frisson mordre
Ta chair frêle, naguère au creux de la tiédeur ;
Un jour, et tu serais un spectre dans la ronde