Page:Weil - Poèmes suivis de Venise sauvée, 1968.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

BASSIO

Je voudrais pouvoir te le permettre ; je pense comme toi. Il me répugne, il a mérité mille morts, et je crains que plus tard il ne fasse du mal à Venise. Un traître est toujours un ingrat ; il ne sera pas reconnaissant à Venise de la vie qu’il a reçue. D’ailleurs il est capable de tous les crimes et de toutes les lâchetés. Et puis, s’il était mort, je pourrais jouir de la fête. C’est malheureux pour moi de devoir passer le jour de la fête à m’occuper d’une telle vermine. Mais que veux-tu ? Je ne peux pas permettre qu’on le tue sur le territoire de Venise. Mon maître m’a ordonné de le conduire vivant hors du territoire de Venise ; je le ferai. J’espère qu’il ne vivra pas longtemps ensuite.

APPRENTI

Sans doute il vivra peu. À qui ne ferait-il horreur ?
Même les criminels refuseront de l’accueillir.
La terre aurait horreur de le porter pendant longtemps.
D’ailleurs, chers compagnons, le ciel qui protège Venise
Prend soin visiblement d’anéantir ses ennemis.
Quelle joie aujourd’hui pour nous, le peuple de Venise,
Cette reine des mers où le plus humble se sent roi,
De voir notre cité, le jour de la plus belle fête,
Soustraite par miracle au péril qui la menaçait !