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APPRENTI

Non, ne le cachez pas ; je veux encor le regarder.
Écartez-vous un peu, laissez-moi voir, je vous en prie.
Des êtres aussi vils, se peut-il donc qu’il en existe ?
Pourquoi ne dit-il rien ? Je voudrais entendre sa voix.
Laissez-moi le frapper pour lui arracher quelques cris.
Voyez-le donc trembler, voyez-le qui baisse la tête.
Un traître est toujours lâche. Est-il permis de le frapper ?
Non, vous ne voulez pas ? Pendant que meurent ses complices,
Lui qui les a trahis, doit-il être là, sans souffrir ?
Traître, traître, entends-tu ? Voyez, ce mot le fait trembler.
Sais-tu comme on est vil quand on a vendu ses amis ?
C’est malheureux qu’un traître ait préservé notre Venise
Vous dites que les Dix ont dû lui promettre la vie,
Mais si je le tuais sans leur ordre ils seraient contents,
Car sa vie est peut-être un danger pour notre cité.
Si je le tuais, moi, moi qui n’ai pas fait de serment,
Je ne blesserais pas mon honneur ni l’honneur des Dix,
Et nous aurions servi les intérêts de notre ville.
Pouvons-nous supporter de garder la vie à ce lâche ?
Allons ! qu’en dites-vous ? Permettez-moi de le tuer !