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JAFFIER

Je m’en vais sans amis, chassé, privé de mon honneur.
On ne veut plus de moi, maintenant qu’on m’a tout fait perdre.
Où puis-je me tourner ? Qui voudra recevoir un traître,
Puisque ceux qu’a sauvés ma trahison vont me chasser ?
Cela ne se peut pas. Je veux parler à votre maître.
Ceux qui m’ont pris l’honneur, ceux-là savent ce que je suis ;
J’aurais auprès d’eux seuls un refuge contre la honte.
Ou bien conduisez-moi, ou faites venir votre maître.
Ah ! ne voulez-vous pas aller le trouver, par pitié ?
Ainsi donc plus jamais je ne pourrai voir son visage,
Je n’entendrai sa voix ? Pourtant je n’ai personne au monde
Sinon lui, maintenant qu’on a fait mourir mes amis.
Je suis trop déchiré, trop déchiré par la douleur.
Hélas ! mon ami, l’on te torture.
Et moi, me voici à supplier
En vain les valets de tes bourreaux.
Ah ! mon ami, mon ami, tu cries ;
J’entends des cris ; que ne suis-je sourd !
Mon Dieu, je ne puis mourir ni vivre.
Tout mon crime est d’avoir eu pitié.

Entrent plusieurs Artisans et Apprentis, qui se groupent autour de Bassio et de Jaffier.