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La mort ! Non, pas la mort. Mon Dicu, je ne veux pas mourir.
Mon ami va mourir ; si je pouvais vivre toujours,
Pour ne jamais paraître, après la mort, sous son regard !
Le soleil me sait peur ; la mort qui déchire les voiles
Me fait plus peur encor ; la mort mettra mon âme à nu.
Dieu, mon âme a besoin de la chair pour cacher sa honte,
La chair qui mange et dort, sans avenir et sans passé.
Tant que je suis vivant, je puis essayer d’oublier.
La honte qui m’écrase a fait de moi un misérable,
Je tremblerais d’horreur en passant dans l’éternité ;
Trop faible pour la mort. Mais comment demeurer vivant ?
Ceux-là qui m’ont perdu, il faut qu’ils prennent soin de moi.
Ma détresse est leur œuvre, et maintenant j’ai besoin d’eux.
Veuillez me dire au moins quand je reverrai votre maître.

BASSIO
Vous ne le verrez plus. Vous êtes chassé du territoire de Venise avec défense d’y jamais rentrer sous peine de mort. Dès que vos complices auront été exécutés, nous vous mènerons à la frontière. D’ici là vous n’avez besoin de voir personne.