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Le fait-on crier sous la torture ?
Tous mes compagnons sont enfermés,
Livrés aux bourreaux, et sans recours.
Je ne puis, je ne puis le souffrir.
Mon ami, je ne l’ai pas voulu.
Mon ami, pardon, tu vas périr,
C’est moi qui te tue, et moi je vis.
Ses os vont craquer sous les tourments ;
Ses genoux tremblent devant la mort.
Moi qui l’ai perdu, je ne puis rien.
Je suis seul, désarmé, sans appui.

LE SECRÉTAIRE
Tu vois, Bassio ? Il n’est plus dangereux maintenant.
JAFFIER

Mon ami, à présent, que fais-tu ?
Tu m’appelais marchant vers la mort.
Peut-être en ce moment tu m’appelles.
Tout autour de toi tes ennemis,
Habiles, savants à torturer,
Boivent du regard chaque faiblesse.
Ont-ils plaisir à te voir pâlir,
Crier vainement miséricorde ?
Tu sens la mort amère approcher
Et je ne te porte aucun secours.
Ne me maudis pas dans ta détresse.
Je voudrais, je voudrais te sauver.
Je leur ai donné tout mon pouvoir.
On m’a désarmé. Je ne puis rien.