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LE SECRÉTAIRE

Monsieur, Leurs Seigneuries, après avoir délibéré cette nuit, ont résolu de faire mettre à mort tous les criminels. Nul ne peut les accuser de manquer de parole ; chacun à Venise et à l’étranger connaît leur extrême scrupule à exécuter leurs promesses. La raison d’État les a contraints à cette mesure. Ce serait être ingrat envers la Providence, qui a voulu sauver la cité par le moyen même d’un de ceux qui s’étaient conjurés pour la perdre — par votre moyen, Monsieur — que d’omettre à présent aucune précaution. Les criminels ne peuvent rester vivants avec sécurité pour Venise. Quant à vous, Monsieur, la bonté de Leurs Seigneuries vous laisse la vie. Même les Dix m’ont chargé de vous remettre de l’or en reconnaissance du service rendu. Mais vous devez quitter le territoire de Venise et n’y jamais revenir sous peine de mort. Je n’ai rien d’autre à vous dire et je n’ajouterai rien.

JAFFIER

Était-ce pour cela que j’ai sauvé ces misérables ?
Hier ils étaient perdus ; pour eux la mort et l’esclavage,
Pour moi gloire et fortune ; et nous étions sûrs du succès.
J’ai renoncé à tout, par pitié, pour les épargner,
Et vous me dites, vous — je ne peux pas le croire encore —
Vous osez m’annoncer qu’on fait mourir mes compagnons ?