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Ah ! qu’on se hâte enfin ; je suis las d’attendre la mort.

RENAUD

J’aurais su gouverner un État grand comme le monde.
J’étais né pour cela. Toute mon âme en avait soif.
Je n’ai pas possédé même un seul jour ma destinée.
Cela que j’ai rêvé, je n’en aurai rien accompli.
Mon rêve est donc fini, puisqu’on va venir me tuer.
J’ai porté dans mon cœur, en secret, l’empire du monde ;
Il n’y a plus en moi que du néant ; je ne suis rien.
Là, dans cette prison, avant le jour, dans un moment,
Les deux mains d’un bourreau vont devenir mon univers.
Pourquoi, pourquoi cela ? Je n’en peux plus. Je suis glacé.
Tout ce que j’ai voulu va s’évanouir pour toujours.

PIERRE

S’il était avec moi, je serais fort pour tout souffrir.
Je ne puis supporter de ne pas revoir mon ami.
Mes yeux privés de lui n’ont nulle part où se poser.
Mon Dieu, si seulement tout d’un coup sa voix était là,
Si je touchais sa main, si son regard était sur moi !
Comment quitter la vie et ne l’avoir jamais revu ?
En vain je le désire ; il n’est nulle part ; tout est vide.