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qu’on veille à leur sécurité, je m’y prêterai volontiers.

OFFICIER II

Oh ! non ! Il est vrai que j’étais lié avec quelques familles qui ont été très bonnes pour moi pendant mon séjour ici. Je leur disais souvent que mon épée leur appartenait en cas de danger, et je le pensais. En temps ordinaire, j’aurais exposé ma vie pour eux sans hésiter. Mais tout cela est si loin maintenant ! Le moment décisif approche ; tous ces gens sont pour moi comme des fourmis. Ce sont des ombres. Ils croient qu’ils existent, mais ils se trompent. Comment distraire pour eux une de mes pensées, quand toutes mes pensées tendent vers la gloire que nous allons conquérir ?

JAFFIER

J’attendais cette réponse, et je ne vous avais interrogé que pour vous éprouver.

OFFICIER II

C’est singulier, je crois que je ne pourrais même pas me souvenir qui j’avais pour amis ici. J’ai déjà éprouvé la même chose lors d’un sac d’une ville où j’avais des amis. J’avais oublié leur existence. Ils m’ont vu, se sont jetés vers moi, accrochés à mon manteau ; je les ai repoussés sans les reconnaître.