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VIOLETTA

Non, personne, mais je ne sais pas ce que j’ai ; il me semble que je vais aimer. Il me semble aussi que j’aime tout l’univers. Combien il y a d’êtres humains bons et beaux, mon père !

LE SECRÉTAIRE

Je m’étais demandé si tu n’aimais pas soit Pierre, soit Jaffier. Je t’ai vu rougir en les regardant. Il m’a semblé aussi que tous deux ont de l’inclination pour toi, surtout Jaffier. Quoiqu’ils soient étrangers et que leur fortune soit loin de convenir à notre famille, j’ai tant d’amitié pour eux que si tu aimais l’un ou l’autre je ne m’y opposerais pas.

VIOLETTA

Père, j’avais toujours pensé que je ne pourrais pas aimer un étranger. Comment me comprendrait-il, celui qui ne connaît pas le bonheur d’être né membre d’une telle cité ? Il est vrai pourtant que ces deux Provençaux sont vaillants et courtois. Jaffier surtout est beau et généreux, et il a quelque chose qui le fait aimer de tous. Mais regarde, père, comme Venise est belle aujourd’hui, dans cette lumière ! Ah ! elle sera bien plus belle encore demain.

Dans cette scène, le Secrétaire en prose, Violetta en vers blancs ou rimés, selon qu’elle parle surtout à son père ou surtout à elle-même.