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que la nécessité naturelle leur apportait. S’ils nous paraissent infiniment plus beaux que de riches étoffes, ce n’est pas qu’ils soient plus riches, c’est par cette docilité. Le tissu aussi est docile, mais docile à l’homme, non à Dieu. La matière n’est pas belle quand elle obéit à l’homme, seulement quand elle obéit à Dieu. Si parfois, dans une œuvre d’art, elle apparaît presque aussi belle que dans la mer, les montagnes ou les fleurs, c’est que la lumière de Dieu a empli l’artiste. Pour trouver belles des choses fabriquées par des hommes non éclairés de Dieu, il faut avoir compris avec toute l’âme que ces hommes eux-mêmes ne sont que de la matière qui obéit sans le savoir. Pour celui qui en est là, absolument tout ici-bas est parfaitement beau. En tout ce qui existe, en tout ce qui se produit, il discerne le mécanisme de la nécessité, et il savoure dans la nécessité la douceur infinie de l’obéissance. Cette obéissance des choses est pour nous, par rapport à Dieu, ce qu’est la transparence d’une vitre par rapport à la lumière. Dès que nous sentons cette obéissance de tout notre être, nous voyons Dieu.

Quand nous tenons un journal à l’envers, nous voyons les formes étranges des caractères imprimés. Quand nous le mettons à l’endroit, nous ne voyons plus les caractères, nous voyons des mots. Le passager d’un bateau pris par une tempête sent chaque secousse comme un bouleversement dans ses entrailles. Le capitaine y saisit seulement la combinaison complexe du vent, du courant, de la houle, avec la disposition du bateau, sa forme, sa voilure, son gouvernail.

Comme on apprend à lire, comme on apprend un