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au point de faire oublier la cause de la persécution. Les martyrs livrés aux bêtes qui entraient dans l’arène en chantant n’étaient pas des malheureux. Le Christ était un malheureux. Il n’est pas mort comme un martyr. Il est mort comme un criminel de droit commun, mélangé aux larrons, seulement un peu plus ridicule. Car le malheur est ridicule.

Il n’y a que la nécessité aveugle qui puisse jeter des hommes au point de l’extrême distance, tout à côté de la Croix. Les crimes humains qui sont la cause de la plupart des malheurs font partie de la nécessité aveugle, car les criminels ne savent pas ce qu’ils font.

Il y a deux formes de l’amitié, la rencontre et la séparation. Elles sont indissolubles. Elles enferment toutes deux le même bien, le bien unique, l’amitié. Car quand deux êtres qui ne sont pas amis sont proches, il n’y a pas rencontre. Quand ils sont éloignés, il n’y a pas séparation. Enfermant le même bien, elles sont également bonnes.

Dieu se produit, se connaît soi-même parfaitement, comme nous fabriquons et connaissons misérablement des objets hors de nous. Mais avant tout Dieu est amour. Avant tout Dieu s’aime soi-même. Cet amour, cette amitié en Dieu, c’est la Trinité. Entre les termes unis par cette relation d’amour divin, il y a plus que proximité ; il y a proximité infinie, identité. Mais par la Création, l’Incarnation, La Passion, il y a aussi une distance infinie. La totalité de l’espace, la totalité du temps, interposant leur épaisseur, mettent une distance infinie entre Dieu et Dieu.

Les amants, les amis ont deux désirs. L’un de s’aimer