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Dieu elle-même ne guérit-elle pas ici-bas la nature irrémédiablement blessée. Le corps glorieux du Christ portait les plaies.

On ne peut accepter l’existence du malheur qu’en le regardant comme une distance.

Dieu a créé par amour, pour l’amour. Dieu n’a pas créé autre chose que l’amour même et les moyens de l’amour. Il a créé toutes les formes de l’amour. Il a créé des êtres capables d’amour à toutes les distances possibles. Lui-même est allé, parce que nul autre ne pouvait le faire, à la distance maximum, la distance infinie. Cette distance infinie entre Dieu et Dieu, déchirement suprême, douleur dont aucune autre n’approche, merveille de l’amour, c’est la crucifixion. Rien ne peut être plus loin de Dieu que ce qui a été fait malédiction.

Ce déchirement par-dessus lequel l’amour suprême met le lien de la suprême union résonne perpétuellement à travers l’univers, au fond du silence, comme deux notes séparées et fondues, comme une harmonie pure et déchirante. C’est cela la Parole de Dieu. La création tout entière n’en est que la vibration. Quand la musique humaine dans sa plus grande pureté nous perce l’âme, c’est cela que nous entendons à travers elles. Quand nous avons appris à entendre le silence, c’est cela que nous saisissons, plus distinctement, à travers lui.

Ceux qui persévèrent dans l’amour entendent cette note tout au fond de la déchéance où les a mis le malheur. À partir de ce moment ils ne peuvent plus avoir aucun doute.

Les hommes frappés de malheur sont au pied de la