Page:Weil - Pensées sans ordre concernant l’amour de DIeu, 1962.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être sans mérite. Cependant je crois que cette facilité est une immense faveur.

Je suis convaincue que le malheur d’une part, d’autre part la joie comme adhésion totale et pure à la parfaite beauté, impliquant tous deux la perte de l’existence personnelle, sont les deux seules clefs par lesquelles on entre dans le pays pur, le pays respirable, le pays du réel.

Mais il faut que l’un et l’autre soient sans mélange, la joie sans aucune ombre d’insatisfaction, le malheur sans aucune consolation.

Vous me comprenez bien. Cet amour divin qu’on touche tout au fond du malheur, comme la résurrection du Christ à travers la crucifixion, et qui constitue l’essence non sensible et le noyau central de la joie, ce n’est pas une consolation. Il laisse la douleur tout à fait intacte.

Je vais vous dire quelque chose de dur à penser, plus dur encore à dire, presque intolérablement dur à dire à ceux qu’on aime. Pour quiconque est dans le malheur le mal peut peut-être se définir comme étant tout ce qui procure une consolation.

Les joies pures qui, selon les cas, ou bien se substituent pour un temps ou bien se superposent à la souffrance, ne sont pas des consolations. Au contraire, on peut souvent trouver une consolation dans une sorte d’aggravation morbide de la souffrance. Tout cela est clair pour moi, mais je ne sais si je l’exprime convenablement.

La paresse, la chute dans l’inertie, tentation à laquelle je succombe très souvent, presque tous les