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sont laissé prendre par le mal, l’instant limite n’a plus de réalité. Le maximum qu’un être humain puisse faire, c’est, jusqu’à ce qu’il en soit tout proche, de garder intacte en lui la faculté de dire oui au bien.

Il me paraît certain que pour vous l’instant limite n’est pas venu. Je n’ai pas le pouvoir de scruter les cœurs, mais il me semble qu’il y a des signes qu’il n’est plus éloigné. Votre faculté de consentement est certes intacte.

Je pense qu’après que vous aurez consenti au bien vous percerez l’œuf, après un certain intervalle peut-être, mais sans doute court ; l’instant où vous serez au dehors, il sera pardonné à cette balle qui est un jour entrée au centre de votre corps, et en elle à tout l’univers qui l’avait dirigée.

L’intelligence a un rôle pour préparer le consentement nuptial à Dieu. C’est de regarder le mal qu’on a en soi-même et de le haïr. Non pas essayer de s’en débarrasser, simplement le discerner ; et même avant d’avoir dit oui à son contraire, y maintenir le regard fixé suffisamment pour sentir la répulsion.

Je crois que chez tous peut-être, mais surtout chez ceux que le malheur a touchés, et surtout si le malheur est biologique, la racine du mal, c’est la rêverie. Elle est l’unique consolation, l’unique richesse des malheureux, l’unique secours pour porter l’affreuse pesanteur du temps ; un secours bien innocent ; d’ailleurs indispensable. Comment serait-il possible de s’en passer ? Elle n’a qu’un inconvénient, c’est qu’elle n’est pas réelle. Y renoncer par amour de la