Page:Weil - Pensées sans ordre concernant l’amour de DIeu, 1962.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans retour. Il y a une espèce de virginité de l’âme à l’égard du bien qui ne se retrouve pas plus, une fois le consentement accordé, que la virginité d’une femme après qu’elle a cédé à un homme. Cette femme peut devenir infidèle, adultère, mais elle ne sera plus jamais vierge. Aussi a-t-elle peur quand elle va dire oui. L’amour triomphe de cette peur.

Pour chaque être humain, il y a une date, inconnue de tous et de lui-même avant tout, mais tout à fait déterminée, au-delà de laquelle l’âme ne peut plus garder cette virginité. Si avant cet instant précis, éternellement marqué, elle n’a pas consenti à être prise par le bien, elle sera aussitôt après prise malgré elle par le mal.

Un homme peut à tout moment de sa vie se livrer au mal, car on s’y livre dans l’inconscience et sans savoir qu’on introduit en soi une autorité extérieure ; l’âme boit un narcotique avant de lui abandonner sa virginité. Il n’est pas nécessaire d’avoir dit oui au mal pour en être saisi. Mais le bien ne prend l’âme que quand elle a dit oui. Et la crainte de l’union nuptiale est telle qu’aucune âme n’a le pouvoir de dire oui au bien tant que l’approche presque immédiate de l’instant limite où son sort sera éternellement fixé ne la presse pas d’une manière urgente. Chez les uns l’instant limite peut se placer à l’âge de cinq ans, chez d’autres à l’âge de soixante ans. D’ailleurs ni avant qu’il ait été franchi ni après il n’est possible de le situer, car ce choix instantané et éternel n’apparaît que réfracté dans la durée. Chez ceux qui longtemps avant d’en approcher se