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LETTRE À JOË BOUSQUET

12 mai 1942.
Cher ami,

Tout d’abord, merci encore de ce que vous venez de faire pour moi[1]. Si, comme j’espère, c’est efficace, cela aura été fait non pour moi, mais à travers moi pour d’autres, de jeunes frères à vous qui doivent vous être infiniment chers, pris dans le même destin. Quelques-uns peut-être vous devront, aux approches de l’instant suprême, la douceur d’un échange de regards.

Vous avez ce privilège parmi tous que pour vous l’état actuel du monde est une réalité. Plus peut-être même que pour ceux qui en ce moment tuent et meurent, blessent et sont blessés, et qui, surpris, ne savent où ils sont ni ce qui leur arrive, qui, comme c’était jadis votre cas, n’ont pas les pensées de cette

  1. Joë Bousquet, à qui Simone avait envoyé son Projet d’une formation d’infirmières de première ligne, lui avait répondu par une lettre d’approbation dont Simone comptait se servir.