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atteint un degré de réalité moindre. Il y a eu vraisemblablement un milieu pythagoricien, mais nous ne savons presque rien à ce sujet. À l’époque de Platon, il n’y avait plus rien de semblable, et l’on sent continuellement dans l’œuvre de Platon l’absence d’un tel milieu et le regret de cette absence, un regret nostalgique.

Excusez ces réflexions décousues ; je voulais seulement vous montrer que mon intérêt pour les cathares ne procède pas d’une simple curiosité historique, ni même d’une simple curiosité intellectuelle. J’ai lu avec joie dans votre brochure que le catharisme peut être regardé comme un pythagorisme ou un platonisme chrétien ; car à mes yeux rien ne surpasse Platon. La simple curiosité intellectuelle ne peut mettre en contact avec la pensée de Pythagore et de Platon, car à l’égard d’une telle pensée la connaissance et l’adhésion ne sont qu’une seule opération de l’esprit. Je pense de même au sujet des cathares.

Jamais il n’a été si nécessaire qu’aujourd’hui de ressusciter cette forme de pensée. Nous sommes à une époque où la plupart des gens sentent confusément, mais vivement, que ce que l’on nommait au xviiie siècle les lumières, constitue — y compris la science — une nourriture spirituelle insuffisante ; mais ce sentiment est en train de conduire l’humanité par les plus mauvais chemins. Il est urgent de se reporter, dans le passé, aux époques qui furent favorables à cette forme de vie spirituelle dont ce qu’il y a de plus précieux dans les sciences et les arts constitue simplement un reflet un peu dégradé.