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« Quiconque n’a pas de compassion pour les douleurs de ceux qui souffrent offense Zeus suppliant. » Cela ressemble à la parole du Christ : « J’avais faim et vous ne m’avez pas donné à manger. » Il dit aussi : « Il n’y a pas de colère plus redoutable pour les mortels que celle de Zeus suppliant. »

On n’imaginerait pas une expression telle que « Iaveh suppliant ».

Hérodote énumère quantité de nations helléniques et asiatiques dont une seule adorait un « Zeus des armées ». Les autres refusaient de donner la conduite de la guerre comme attribut au Dieu suprême, comme faisaient les Hébreux.

Moïse a dû connaître les traditions égyptiennes concernant Zeus et le bélier et concernant la passion rédemptrice d’Osiris. Il a refusé cet enseignement.

Il est facile de comprendre pourquoi. Il était avant tout un fondateur d’État. Or, comme dit très bien Richelieu, le salut de l’âme s’opère dans l’autre monde, mais le salut de l’État s’opère dans ce monde-ci. Moïse voulait apparaître comme l’envoyé d’un Dieu puissant qui fait des promesses temporelles. Les promesses de Iaveh à Israël sont les mêmes que le diable a faites au Christ : « Je te donnerai tous ces royaumes… »

Les Hébreux ont toujours oscillé entre la conception de Iaveh comme un dieu national parmi d’autres dieux nationaux appartenant à d’autres nations et de Iaveh comme Dieu de l’univers. La confusion entre les deux notions enfermait la promesse de cet empire du monde auquel tout peuple aspire.