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c’est que tous les biens d’ici-bas, passés, présents ou futurs, réels ou imaginaires, sont finis et limités, radicalement incapables de satisfaire le désir d’un bien infini et parfait qui brûle perpétuellement en nous. Cela, tous le savent et se l’avouent plusieurs fois en leur vie, un instant, mais aussitôt ils se mentent afin de ne plus le savoir, parce qu’ils sentent que s’ils le savaient ils ne pourraient plus vivre. Et ce sentiment est juste, cette connaissance tue, mais elle inflige une mort qui conduit à une résurrection. Cela, on ne le sait pas d’avance, on pressent seulement la mort ; il faut choisir entre la vérité et la mort ou le mensonge et la vie. Si on fait le premier choix, si on s’y tient, si on persiste indéfiniment à refuser de mettre tout son amour dans les choses qui n’en sont pas dignes, c’est-à-dire dans toutes les choses d’ici-bas sans exception, cela suffit. Il n’y a pas de question à se poser, de recherche à faire. Si un homme persiste dans ce refus, un jour ou l’autre Dieu viendra à lui. Comme Électre pour Oreste, il verra, entendra, étreindra Dieu, il aura la certitude d’une réalité irrécusable. Il ne deviendra pas par là incapable de douter ; l’esprit humain a toujours la capacité et le devoir de douter ; mais le doute indéfiniment prolongé détruit la certitude illusoire des choses incertaines et confirme la certitude des choses certaines. Le doute concernant la réalité de Dieu est un doute abstrait et verbal pour quiconque a été saisi par Dieu, bien plus abstrait et verbal encore que le doute concernant la réalité des choses sensibles ; toutes les fois qu’un tel doute se présente, il suffit de l’accueillir